Anglais à Rouen au XIXe siècle

dimanche 3 septembre 2023

CE QUE L’ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE DANS LA BANLIEUE ROUENNAISE
DOIT AUX ANGLAIS AU XIX° SIÈCLE

Au cours de l’histoire, les relations entre l’Angleterre et la France n’ont pas toujours été tendres. D’abord, ils nous ont brûlé Jeanne d’Arc. Puis, ils nous ont fait une guerre sans merci sur les mers. Ils n’ont pas digéré l’assassinat de Louis XVI. Ensuite, Napoléon I°, depuis le camp de Boulogne-sur-Mer, a voulu envahir la grande île. Heureusement, ensuite cela a changé dans l’intérêt des deux pays.
Concernant l’évolution des technologies, l’Angleterre a toujours eu une longueur d’avance avant et après la Révolution française. En France, les activités industrielles fonctionnaient grâce à une grande force humaine et manuelle, alors que le machinisme se développait en Angleterre.
Mais les anglais étaient déjà présents dans la banlieue de Rouen dès le XVIII° s . Ainsi, John HOLKER (né en 1719, décédé à Rouen en 1786) arrive à Rouen une première fois en 1741. On le retrouve en mars 1752 pour y créer une manufacture de velours, d’abord à Darnetal, puis à Saint-Sever, sur la rive gauche de Rouen. Il amènera, en plusieurs vagues successives, des ouvriers anglais compétents, dont on connaît les noms. Il créera ensuite une entreprise produisant de l’huile de vitriol (acide sulfurique) selon un procédé anglais, rue Pavée, devenant alors le premier producteur de cet acide en France. Il aura une manufacture de teinture et d’apprêt. D’autres sites se développeront avec Holker en France (Oissel, Sens (Yonne). Holker soutiendra l’initiative d’entrepreneurs anglais dans plusieurs villes de notre pays.
Holker amène la « JENNY », meilleure machine pour filer le coton, produisant des fils de trame, créée en 1764. Dès 1780, ce nouveau transfert de technologie anglaise permet une mécanisation d’opérations qui jusqu’alors se faisaient à la main. D’autres anglais arriveront, proposant d’autres machines aux entrepreneurs français.
Valentin RAWLE, présent à Rouen depuis 1787, s’associe avec un nommé Ford, qui a un établissement rue d’Elbeuf à Rouen, pour installer une manufacture à Déville-lès-Rouen. Mais le projet n’aboutira pas..
Au sortir de la période révolutionnaire, la « Mulle-Jenny » bénéficie d’un engouement en France. Mais de nombreux techniciens anglais étaient présents dans la banlieue de Rouen pour accélérer les mutations technologiques. Ils feront souche avec leurs familles. Ainsi, au cimetière monumental de Rouen, on trouve encore la présence de tombes d’anglais industrieux ; James BARKER (il a une tombe tout en fer, restaurée il y a peu de temps), DAVEY ( associé à William Bickfort pour fabriquer les cordons pour explosifs, utilisés dans les mines), William Hernan SELIGMAN, John William SCOTT, Frédéric SPORK , Jone Bloune ROWCLIFFE, Henry John WATSON , John WHALLEY, etc...
Après la chute de Napoléon I° en 1815, l’investissement des anglais est moins compliqué politiquement et un nouvel apport se manifeste, notamment pour les rouleaux à imprimer les tissus, ainsi que la gravure sur ces cylindres.
Mais l’apport des anglais ne se fait pas que pour l’industrie des fils et tissus. Il se manifeste aussi pour tout ce qui touche à la métallurgie.
James BARKER (né à Mattersey en 1771, décédé à Rouen en 1832) s’installe dans l’ancienne chartreuse de Petit-Quevilly en 1828 ; pour fabriquer des pièces en fonte de cinq cent grammes à cinq tonnes, pour machines à vapeur, chaudières, roues hydrauliques, également lits et balcons. D’autres industriels de la métallurgie suivent le mouvement.
En 1846, l’usine « La Foudre » à Petit-Quevilly est construite sur les plans de W. Fairbairn, de Leeds. On connaît aussi les noms des fileuses anglaises qui sont venues dans cette usine pour former les ouvrières françaises, ce qui n’a pas été sans problèmes ensuite. Nous y reviendrons en conclusion de cet article.
Le 3 mai 1843, le train venant de Paris arrive dans la nouvelle gare de Sotteville-lès-Rouen. Le but était d’avoir une ligne rapide entre Paris et Londres et prenant moins de temps que la diligence. Plus tard, elle traversera la Seine en direction du Havre.
Les initiateurs sont le financier anglais BLOUNT et les LAFITTE, banquiers français.
L’ingénieur en chef et maître d’oeuvre est Joseph LOCKE. Locke avait avant, entre 1827 et 1837, réalisé la ligne entre Birmingham, Manchester et Liverpool.
William MACKENSI (1794-1851) et Thomas BRASSEY (1805-1870) dessinent les ouvrages d’art (viaduc de Malaunay, Barentin et Mirville.(les anglais construiront aussi le premier pont d’Eauplet, en bois, avant le tunnel de la côte Sainte-Catherine. en 1846. Mais il brûle le 25 février 1848, lors des émeutes des ouvriers contre les anglais . Reconstruit, il est pourvu de fonte et d’acier en 1856
Les entrepreneurs font venir des milliers d’ouvriers anglais, notamment des terrassiers,
Le réseau ferroviaire passe en 1856 ou 1860 à la Compagnie des Chemins de Fer de l’Ouest, puis à l’Etat français en janvier 1909.
Thomas ALLCARD (né en 1825) et William Barber BUDDICUM (né en 1816 à Everton, près de Liverpool, marié à Sotteville-lès-Rouen en 1845, il aura six enfants, décédé en Angleterre) s’installent provisoirement en 1842 aux Chartreux, à Petit-Quevilly. Ils fabriquent des locomotives, des rails, des fourneaux à réverbére en 1855 et des fusils rayés à balles coniques en 1859. Avec cinq cent ouvriers, dirigés par l’anglais John Waley, iIs reçoivent une première commande de quarante locomotives, cent vingt voitures de voyageurs et deux cent wagons de marchandise. Ils fournissent aussi les compagnies ferroviaires de Caen, Le Havre, Dieppe, Lyon et Bordeaux. Mais il y a de grandes difficultés à transporter le matériel des ateliers de Petit-Quevilly à Sotteville-lès-Rouen (les locomotives de dix-sept tonnes notamment) avec des charrettes tirées par de valeureux chevaux. Ils installent donc les ateliers et la fonderie à Sotteville-lès-Rouen en 1848 (là où est maintenant l’Atelier 231, préparant notamment le festival Viva Cité). L’ensemble est transféré à nouveau en 1930 aux Ateliers de Quatre Mares.
En 1847, à Sotteville-lès-Rouen, Rober DIXON commence la fabrication de cardes. Il est associé à l’ingénieur mécanicien anglais John Hyde et Edward Hugues, entrepreneur de travaux publics. Ces deux derniers ont travaillé avant pour Buddicom. Mais l’usine s’arrête en juillet 1867.
Ainsi, la révolution industrielle anglaise s’est exportée avec succès en France, créant ainsi notre révolution industrielle au début du XIX° s. Les entrepreneurs anglais seront présents dans notre pays au-delà de 1870,
Mais je ne saurais conclure cette article sans parler des mouvements sociaux suscités par la présence de personnel masculin et féminin anglais parmi une population laborieuse française.
D’abord, l’introduction du machinisme dans les usines par des ingénieurs et techniciens anglais amène la crainte de voir le nombre de personnes employées dans les ateliers et usines diminuer, d’où une perte d’emplois. En 1848, 2.000 personnes anglaises sont employées dans les usines à Rouen et autour de la ville. Cette année-là, il y a de graves émeutes, les français et françaises reprochant aux anglais d’avoir du travail et pas eux. De plus, les anglais étant plus qualifiés, ils sont mieux payés. Les ouvrières écossaises dans le coton, dans l’Eure, et écossaises ou irlandaises à l’usine « La Foudre » à Petit-Quevilly,ainsi que leurs familles, doivent repartir en Angleterre. L’anglophobie pollue le climat ambiant ; « A bas les anglais ! ». Rien n’a changé dans les mentalités. Quand après avoir connu une embellie, survient une période de non-emploi, donc de chômage, il faut trouver un bouc émissaire. Cela a été les polonais, dans le département du Nord, dans les années 1934. Plus près de nous, c’est la population étrangère qui a subi l’ostracisme, alors que les responsables réels de ces difficultés économiques sont ailleurs. Mais là est un autre sujet. Ainsi, va le monde...

Dominique Samson
26 juillet 2023

Sources= « Les anglais en France, et plus particulièrement en Normandie, dans la « révolution industrielle » (1715-1880) ; Serge Chassagne ; « Etudes Normandes » ; année 2013 / 62-2 / pages 121 à 140
« Sotteville, une ville » : Léon Leroy , Daniel Andrieu, Jean-François Glabik ; Maison pour tous, éditeur : 1991
Documentation personnelle de Dominique Samson